Maon amoureuxse a sorti il y a quelques semaines un roman en littérature générale aux chouettes éditions Les Escales : La tendresse des catastrophes. C’est un livre comme je les aime, un livre entrée-plat-dessert (pour paraphraser quelqu’un que je n’ai pas très envie de citer), un livre avec une multitude de saveurs et d’émotions. Il est présenté comme une comédie romantique, et il en est une indéniablement, mais il est aussi tellement plus que cela (je sais bien que je ne devrais pas avoir à dire ça, mais après tout, on n’est qu’en 2025, c’est encore la préhistoire des jugements culturels).
Avec Martin, on est très amateurices de romcoms. À la fois celles des années 90-2000 (Norah Ephron, John Hugues, la bande à Apatow….), celles des années 30-40 (Lubitsch, Hawks, Capra…), ou encore celles du côté littérature (Shakespeare, Austen…). Mais évidemment, beaucoup sont désormais un peu cringe, souvent affreusement sexistes, hétéronomées, patriarcales, et parfois même franchement irregardables. Elles mettent en scène la désirabilité des enjeux de pouvoir, de différence d’âge, de déséquilibre de milieu social (accessoirement, tout ça n’a pas beaucoup changé, on continue à reproduire largement ces schémas, mais c’est une autre histoire).
C’est à tout ça que je pensais quand on a écrit Romy et Julius, avec Marine (Carteron). Il ne s’agissait pas seulement de donner une fin moins tragique à Roméo et Juliette, mais aussi de bousculer les schémas de désirs, implanter notre romcom dans un fond social et politique, tout en respectant certains de ces codes : la scène du premier baiser, les obstacles extérieurs, la place des side-kicks, l’humour…
Alors une de nos quêtes existentielles, c’est de recenser les romcoms qui réinventent les codes, déplacent la désirabilité ailleurs, nous bousculent un peu même parfois, sans renoncer pour autant au romantisme, à l’humour et à l’intelligence. Des romcoms “witty”, qui réfléchissent aux schémas amoureux, les embrassent de manière choisie et réflexive, ou bien au contraire y mettent un délicieux coup de pied.
Mes deux préférées de ces dernières années, c’est incontestablement Bros, une romcom gay ultra méta, très référencée et assez intello de Nicholas Stoller (issu de la bande Apatow, il a notamment fait Forgetting Sarah Marshall, qui est une de mes préférées côté romcoms hétéronomées des années 2000) et Straight Up, film queer et méta aussi, très tendre et malicieux dans sa manière de retourner et questionner l’injonction à l’hétérosexualité (le personnage principal, manifestement gay aux yeux de tout le monde - y compris lui-même -, mais plutôt repoussé par le sexe, se demande soudain s’il ne serait pas hétéro), de et avec James Sweeney. Parmi mes chouchous, je pense aussi aux séries Special, Love, aux films But I’m a cheerleader, ou Si tu savais….


J’ai peu de référence en revanche côté livres (à part quelques exceptions, comme Les sept nuits de Miriam, de Melissa Broder). C’est peut-être simplement que je ne les ai pas encore trouvées, mais j’ai tout de même l’impression que ce travail pas facile de dépoussiérer le genre, d’imaginer des comédies romantiques à la fois populaires et intellos, drôles et profondes, n’est pas envisageable en littérature. Car en littérature, tout doit être bien rangé sur les étagères, l’humour chez les enfants, la profondeur et le drame chez les adultes, le romantisme là-haut sur la mezzanine, loin de nous, il faudrait voir à pas se mélanger, de toute façon si on veut être pris au sérieux, il faut avoir l’air sérieux. On n’envisage pas, en littérature, qu’une oeuvre puisse être populaire et intelligente, drôle et grave, alors qu’on est tout à fait capable de le voir et de l’apprécier au cinéma (sommes-nous de moins bon·nes lecteurices que spectatrices ? on peut se le demander). Mais la littérature (générale, surtout) est le lieu par excellence du prestige et de la différenciation sociale, de l’art utilisé comme marchepied pour se hisser au-dessus des autres. Et pardon mais c’est d’une tristesse et d’une violence folles.
Cette longue digression pour dire que Martin a écrit le genre de romcom qu’on aime voir et qu’on aimerait lire davantage. Une histoire d’amour, de classes sociales, de précarité, de fuites, de tentative de s’en sortir, entre deux personnages chacun hanté par son passé. Une femme misanthrope que son enfance difficile a rendue méfiante, ultra indépendante, et parfois même dure, et un homme idéaliste et asocial qui s’attache au contraire à racheter toutes les violences économiques et sociales infligées par sa famille à la société (sa famille ayant fait sa fortune grâce à un laboratoire pharmaceutique qui a commercialisé un médicament hautement problématique). Comme dans toute bonne comédie romantique, ils se rencontrent et se cognent, se cherchent et s’évitent, s’attirent et se ratent, se blessent et se désirent. Ça parle de couple, d’écologie, de santé mentale, de drogue, de corps, de cuisine, de grossophobie, de vieillesse, ça propose des manières créatives de faire famille, c’est queer, drôle, intelligent, inventif, tendre, surprenant, bourré de phrases et de formules qu’on a envie de souligner, c’est un de ces livres qui enlace et bouscule à la fois, où les personnages semblent si libres qu’ils viennent déjouer nos attentes et déranger nos habitudes.
J’espère qu’il sera lu, et qu’il sera bien lu, que son audace sera comprise, qu’il trouvera sa place dans la longue et riche histoire des comédies-romantiques-qui-sont-à-la-fois-parfaitement-ça-et-largement-plus. C’est toujours un risque d’essayer de déjouer les codes quand on s’attaque à un genre si normé, alors j’espère que sa douceur inconfortable saura parler aussi bien à celles et ceux qui adorent les comédies romantiques qu’à celles et ceux qui ne les aiment pas. Et à toustes les autres.
Merci pour les autres références. Toujours à la recherche d'une bonne comédie romantique !
Je viens de finir "la tendresse des catastrophes" et ça m'a interrogée sur mes propres attentes et limites envers ce genre 😊
Quelle idée de lire ça alors que je suis en route pour une librairie... (en vrai j'étais déjà convaincue, et Romy et Julius est justement sur ma table de nuit (pour m'inspirer pour ma propre écriture et parce que je crois avoir lu tous tes autres romans ou presque). Merci pour toutes les références de films que je vais noter ! Côté roman, je pense forcément aux Nuits Bleues d'Anne-Fleur Multon que j'adore et que je mets très en haut de la pile pour les élèves (iels doivent lire une romance de leur choix pour un chapitre eheh)