Un petit hors-série, infidélité au journal de création (mais après tout, la création c’est aussi du trivial et quotidien), pour partager un poème écrit ce week-end. Après six ans d’errance thérapeutique, nous avons enfin obtenu un diagnostique pour notre fils. Et paradoxalement, ça m’a autant soulagée que mise en colère.
ça fait six ans
six ans qu’on cherche
six ans qu’on voit des spécialistes médecins pédiatres
psychologues neuropsychologues psychanalystes
six ans qu’on s’interroge qu’on interroge
qu’on réfléchit qu’on écoute bien
sagement qu’on se remet en cause
presque autant d’années qu’on dit
est-ce que ça ne serait pas
vous ne pensez pas que
ça ressemble quand même beaucoup à
regardez la description clinique de
vous connaissez des spécialistes de
et qu’on nous répond non
qu’on nous répond
ce n’est pas ça c’est autre chose
c’est simplement que
il suffit de vous manquez de
soyez plus il est vraiment trop
six ans que nos voix et
notre expertise de parents et
notre intuition de parents et
le temps passé auprès de notre enfant
le temps passé à observer notre enfant
à vivre avec notre enfant
à comprendre notre enfant à
aimer notre enfant
sont chassés d’un revers de main
par tous les soignants
simplement parce que ses symptômes
ne ressemblent pas
aux clichés les plus navrants
c’est vrai nous ne sommes
que de simples parents après tout
il a fallu attendre le regard plus attentif
enfin
de quelqu’une qui a constaté un jour
quand même c’est vrai que ça ressemble à
et qui a dit à une autre
vous ne trouvez pas que ça ressemble à
et l’autre a dit au grand spécialiste
c’est vrai qu’on se demande si
il a fallu qu’on la retrouve en larmes
burn-outée par l’état désastreux de
la pédopsychiatrie à Nantes
il a fallu qu’on attente neuf mois pour
rencontrer le grand spécialiste
alors on était prêtes on était remontées
on était déterminées on était armées de
nos bilans comptes-rendus évaluations
depuis si longtemps prêtes à affronter
le boss de fin du jeu vidéo
après avoir vaincu à main nues
chacun des obstacles précédents
on est arrivées dans cet état
dans le bureau du boss de fin
mais le boss de fin a souri
il a posé quelques questions
le boss de fin a écouté les réponses
a écouté notre enfant
a fait confiance à notre enfant
a fait confiance à ses parents
et le boss de fin
a simplement dit c’est ça
avec douceur légèreté et évidence
avec tellement de simplicité que
je ne savais pas quoi faire
de toutes mes armes chargées
désormais inutiles
en vérité c’est que le boss de fin
sait bien pourquoi on est là
il sait bien que si on est arrivées
jusque là
ce n’est pas pour le plaisir
il sait bien que si on est là c’est
parce qu’on sait déjà
parce qu’on s’est déjà battues
contre les médecins et les psys
qui disaient non ce n’est pas
juste parce qu’ils ne connaissaient pas
alors le boss de fin nous a fait confiance
– mais je n’ai pas l’habitude
qu’on nous fasse confiance
depuis moi je suis
en colère qu’on nous ait rendu
le chemin si compliqué
alors que c’était
si simple bordel de merde
on appelle ça l’errance diagnostique
ça a même un nom pour vous dire
on a un mot pour dire que
les médecins et les psys ne vous
écoutent pas
je suis en colère qu’on nous ait
tant fait douter de notre intuition
de notre savoir de parents
et je me dis que
si on n’était pas deux relous entêtées
si on n’avait pas le temps et les moyens
d’avancer ensemble face à la tempête
alors on errerait toujours
dans l’errance diagnostique
on en serait encore à se faire
bousculer égarer malmener
par celleux qui ne regardent le monde
qu’avec leurs lunettes teintées
– et tant pis pour le réel –
celleux qui préfèrent affirmer
non
ce n’est pas ça c’est autre chose
c’est simplement que
il suffit de vous manquez de
soyez plus il est vraiment trop
plutôt que de dire
je
ne
sais
pas
Martin a également écrit un texte sur le sujet, à lire ici.