Aujourd’hui sort mon nouveau roman, Le silence est à nous, aux éditions Flammarion. C’est un récit en vers libre pour grands adolescents et adultes, un livre de révolte, d’indignation, qui parle des silences : ceux qu’on garde, ceux qu’on impose, ceux qu’on empêche, qu’on exige, et celui que mes personnages vont reprendre, comme une manière de retourner le stigmate face à ceux qui ne veulent pas les entendre.
J’ai voulu questionner notre rapport à la parole : dans une société où toute révolte passe par la nécessité de manifester, de s’imposer, de faire du bruit, quelle place reste-t-il pour les timides, les discret·es et les introverti·es ? Et puis en regard de ces injonctions à la parole, savons-nous vraiment écouter ? Que deviennent les mots que personne n’écoute ?
Résumé
C’est l’histoire de Leo, élève de seconde à Nantes, introvertie, timide, en plein questionnement identitaire, qui est témoin d’une agression sexuelle au sein du lycée. Elle voudrait réagir, tout dans ses convictions devrait l’y amener, pourtant elle reste pétrifiée et ne fait rien. Rongée par la culpabilité, elle décide de parler à la victime, Maryam, et de la soutenir.
Seulement, si certains adultes les écoutent avec attention, d’autres, comme le proviseur, tentent de passer l’événement sous silence. Pire encore : sa seule réaction consiste à réglementer les tenues portées par les filles pour les « protéger ». En colère contre l’injustice de ce nouveau règlement, révoltées d’être si peu et si mal écoutées, Leo et Maryam, accompagnées de la flamboyante meilleure amie de Leo, Aïssa, décident d’entamer une grève de la parole au sein du lycée, qui va progressivement prendre de l’ampleur.
Une des choses que j’ai apprises au fil du temps et des publications, c’est qu’on ne sait jamais vraiment de quoi parle un roman avant de l’avoir terminé. On l’imagine, on suit une intuition, une envie, une intention. On a parfois de grandes idées sur ce qu’on fait, d’autres fois on suit un fil dans le noir. Mais la plupart du temps on se plante : on croit écrire un livre et on en écrit un autre. On comprend ce que l’on raconte une fois le livre achevé ou lorsque d’autres yeux se penchent sur notre texte. C’est une des belles choses de l’écriture : elle n’a rien à faire de notre ambition ou de notre présomption, elle nous remet toujours à notre place.
Je pensais donc écrire un livre sur le silence, sur une révolte singulière, sur la force du collectif, sur la sororité. Mais je crois, avec le recul, que c’est surtout un livre qui parle du paradoxe et de la contradiction, de ce qu’on ressent quand nos actions ne sont pas à la hauteur de nos idéaux, qui dit ce qu’on vit quand on veut à la fois passer inaperçu et revendiquer sa place singulière dans le monde, ce que ça nous fait dans le ventre quand on nous intime à parler haut et fort tout en n’écoutant pas, ce que c’est que de grandir et d’envisager l’avenir dans un monde qui est en train de s’autodétruire, qui raconte combien parfois on écoute mal malgré toute notre bonne volonté, et ce que le silence peut provoquer comme bruit. Mais sans doute découvrirai-je encore bientôt d’autres choses sur ce que raconte ce livre.
Et puis avant même tout ça, avant même d’avoir écrit, il faut parfois du temps pour trouver le livre caché dans le livre. J’ai longtemps nourri de manière un peu floue ce désir de raconter une grève de la parole. Mes premières notes, les premières esquisses de chapitres, datent d’ailleurs de 2020. Mais il m’a fallu trouver la forme (le vers libre, qui scande, qui hache, et qui offre une place tangible au silence) et le moteur de cette grève (la riposte face à l’injustice) pour que le récit prenne corps devant moi, pour que l’envie de l’écrire se fasse urgence, pour qu’une évidence naisse. Je crois que les idées sont comme de petits ectoplasmes qui flottent autour de nous. Tant qu’on ne les nourrit pas, elles peuvent rester indéfiniment à l’état de spectre, à peine perceptibles mais jamais très loin de nous. Et puis parfois il y a une rencontre, une émotion, une vibration, elle se cogne contre un autre ectoplasme et ça provoque une réaction chimique qui vient donner de la couleur, de la texture, ou une forme, et on parvient alors à s’en saisir.
On écrit peut-être un livre comme on lance des cailloux sur un lac pour faire des ricochets, avec l’espoir qu’il ira loin, qu’il rebondira encore et encore, qu’il provoquera une vibration, qu’il trouvera des élans inattendus. Ou bien on l’écrit comme un petit mot accroché à un ballon de baudruche qu’on laisse s’envoler, avec l’ambition qu’il rencontre quelqu’un, qu’il réchauffe, réconforte, donne de la force et des armes, qu’il atténue le sentiment de solitude, et qu’il crée des liens, visibles et invisibles, comme une petite toile d’araignée pour nous aider à tenir debout. Voilà bien tout ce que je lui souhaite.
Joyeuse vie petit livre !
ce dont je suis sûre désormais
c’est que le silence n’est pas rien
le silence n’est jamais vide
ce n’est pas un creux
pas un manque une absence
ce n’est pas non plus un espace
quelque chose qui nous tiendrait à distance
le silence c’est la conversation qui se trouve entre les mots
seulement on ne sait pas l’écouter
on ne se tait jamais assez pour l’entendre
alors peut-être est-ce vrai après tout
le silence est une science
peut-être qu’il faut mettre le silence en équation
le décomposer à travers un prisme
comme on le fait avec la lumière
pour en dévoiler toutes les nuances
Dans la vie réelle
Ces prochaines semaines, vous pourrez me retrouver ici ou là :
27 mars : Lancement de Le silence est à nous à la librairie Les Bien-Aimé·e·s à Nantes
11 avril, 19h30 : Rencontre au Monte-en-l’air (Paris) autour de En couple
13 avril, 13h : Participation à la table-ronde “Écrire le féminisme” au salon du livre de Paris, avec Camille Emmanuelle et Benjamin Lesage
16 avril, 14h : Participation à la table-ronde “Artistes-auteur·ices, espèce aussi menacée ?” durant les rencontres pour l’écologie du livre à Strasbourg, avec Isabelle Collombat, Claire Lecoeuvre, et Diana Semaska
17 mai : Festival Un chapitre à Rouen
24 mai, 19h : Sortie de résidence au Festival POESIA, La Factorie, Val-de-Recuil
30 mai : Lecture dessinée “Le voyage du petit nuage” dans le cadre du festival Oh les beaux jours, à Marseille
À bientôt !
Coline
Bravo Coline ! Et merci de nous partager ces coulisses de l’écriture, de ce qu’on croit écrire et de ce qui s’écrit avec et parfois malgré nous. C’est un peu désuet mais ça me fait à la phrase de Nicolas Bouvier sur le voyage : « on croit qu’on fait un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ».
(Currently reading -bravo!)