Notes de l’été à rebours
avant le retour aux réflexions sérieuses, un journal en vrac
28 août, jour de prérentrée. Mon fils est en stage de sciences, puis lundi viendra la vraie rentrée pour nous trois. Ces derniers jours, j’ai rangé mon bureau, vu Géraldine et Marion pour nos projets communs, répondu enfin à tous mes e-mails de l’été, barré plein de trucs sur la to-do list. Avec Martin, nous avons trié notre bibliothèque, déposé de vieux vêtements dans un relais,, préparé les ateliers d’écriture de l’automne, repeint la cage d’escalier et la salle de bains, vendu deux-trois trucs sur Vinted, rempli le frigo et les placards. Nous sommes prêts à reprendre la vraie vie désormais.
Ce n’était pas vraiment prévu, mais je n’ai presque pas travaillé sur mon roman ces six dernières semaines – le temps m’a manqué, mais surtout la disponibilité d’esprit, le courage peut-être aussi, alors je me rassure en me disant que peut-être avais-je besoin de cette pause – et cette distance fait que je suis aussi heureuse qu’angoissée à l’idée de revenir au travail.
Au mois d’août, nous avons passé une semaine de vacances dans la fabuleuse maison de Gwen et Jérôme. Il y avait partout des petits mots, rappels à soi-même (comme j’en ai quelques-uns autour de mon bureau, et en ce moment sur mon ordinateur portable : « ne te juge pas, avance ») ou aux autres membres de la famille, résolutions de chacun·e, outils d’organisation et de visualisation du temps qui passe, nourriture pour la tête, le cœur et la créativité, et j’ai trouvé ça très doux. Des petites images, des photos, des souvenirs, toutes les petites choses qu’on laisse souvent traîner et s’abimer faute de savoir quoi en faire étaient, chez eux, affichées au mur, suspendues à des fils à linge, regroupées. Pendant toute cette semaine, j’ai pensé qu’il y a quelque chose de très émouvant à être chez quelqu’un en son absence, picorer les livres qui peuplent les bibliothèques (j’ai avalé plein de bonnes bds) et de la manière dont les membres de ce logement vivent, s’organisent, créent et s’aiment (du moins ce qu’on en perçoit). Je me suis sentie très nourrie par cette maison, petite abeille constatant que chaque recoin était ensemencé d’un peu de pollen. Je ne sais pas si c’est uniquement le lieu ou la distance d’avec la vie réelle, mais pendant cette semaine, je me suis sentie confiante, affutée, je voyais loin devant moi (spoiler de la prochaine newsletter : ça n’a pas duré).
Un soir, en regardant I love you, Phillip Morris (très bien au demeurant, visible en ce moment sur France TV), il m’a semblé avoir compris quelque chose, compris pourquoi le personnage principal de mon roman m’échappe pour l’instant (tandis que j’ai déjà bien en tête la trajectoire de plusieurs de mes personnages secondaires), pourquoi j’ai du mal à savoir qui elle est. J’ai consigné cette épiphanie dans mes notes et je l’ai choyée des jours durant, persuadée que j’avais résolu quelque chose d’important (spoiler : non).
Le 15 août, je tapais ceci sur mon téléphone :
« tandis que j’écris ce texte, le lac devant moi se vide petit à petit, il est 19h22, l’enfant joue dans le sable, mes cheveux gouttent dans mon dos, le pique-nique nous attend dans la glacière, c’est notre dernière soirée ici. La semaine tous les trois a été très douce, mais j’ai hâte de rentrer à la maison après ce mois de vagabondage. Je mesure la chance que nous avons, de pouvoir partir un peu en vacances, de passer presque l’été avec notre enfant (même si ça engendre beaucoup de conflits intérieurs entre travail et repos), la chance que nous avons aussi tout simplement d’être en vie, de manger à notre faim, de ne pas être en train de nous faire bombarder ou affamer à Gaza ou en Ukraine. Alors oui, l’été ne s’est pas tout à fait déroulée comme je l’imaginais, mes dix jours bénis de travail de juillet se sont méchamment ratatinés pour cause d’une grosse galère qu’il a fallu gérer, plusieurs membres de ma famille ont eu des soucis de santé ou fait un tour aux urgences, un panneau solaire a explosé chez mes parents, Martin a mis feu à la bouilloire de G et J et mon téléphone a pris l’eau, mais en vérité il ne nous est rien arrivé de grave. »
Ce matin dans sa très super newsletter, Pauline le Gall parlait de « ce sentiment très bizarre et gluant d’être un humain en 2025 » et j’ai pensé que c’était tout à fait juste : exister en ce moment, c’est du slime, tout le temps faire ce va-et-vient entre soi et le monde, soi et les autres, soi et le capitalisme, soi et la violence, soi et l’injustice, ça nous rend slimes.
Fin juillet, on dinait dans la seule brasserie de Colmar qui ne sert pas de tartes flambées avec Martin et Sandrine (also known as ma prof de français de première), Sandrine me parlait de Le silence est à nous et de ce qu’il lui avait manqué dans l’histoire. Et de fil en aiguille, j’en suis venue à me dire que ce serait précisément un excellent sujet de livre, une sorte de suite qui creuserait un autre angle de l’histoire. On a discuté de l’idée tous les trois, c’était lumineux, évident, la naissance d’un livre au milieu d’une conversation. Sandrine m’envoie régulièrement des références depuis, et moi j’ai mis ma machine à imagination en route. Il va y avoir un gros taff de recherche à faire, alors pour l’instant, je consigne des idées et des pistes, mais voilà, c’est le moment où, tandis que je suis (devrais être) en train d’écrire tout autre chose, une belle idée toute fraîche, plus neuve, plus belle, plus vive, vient frapper à la porte et me faire croire à son urgence. Et il faut résister – tout en ne négligeant pas ce nouvel amour, il faut le garder au chaud pour plus tard, le nourrir juste assez pour qu’il reste vivant sans grandir trop vite.
En parlant de projets, j’ai terminé au début de l’été mon recueil de poèmes sur la danse (c’est réducteur, mais je n’ai pas encore trouvé les mots pour bien le résumer). Ce recueil a trouvé une maison d’édition et j’en suis très heureuse, c’est un texte important pour moi (mais on dit ça pour tous les livres, non ?) parce qu’il est le récit de mon chemin, de comment j’apprends lentement à (ré)aimer mon corps par le mouvement, par une pratique artistique qui est a priori plutôt l’apanage de la jeunesse, de la féminité, de la grâce, de la souplesse (que des choses assez loin de moi, donc). Depuis que ce texte a atterri dans cette maison d’édition, j’y pense moins, il commence déjà à s’échapper un peu, et pourtant j’ai encore le sentiment de ne pas avoir tout dit, ou tout dit de la meilleure façon. Je voudrais dire mieux ce qu’il s’est passé en parallèle, comment j’ai rencontré mon corps ici dans le mouvement parce que j’ai cessé de le mettre ailleurs, comme j’ai aligné sa réalité physique, son usage et mon ressenti. Comment j’ai reporté sur la danse une énergie que j’ai cessé de mettre à des endroits investis par conformisme plus que par désir. Je reparlerai de ce livre, c’est certain. Et je raconterai peut-être ce cheminement plus en détail si un jour je me défais de ma pudeur (mais voilà encore un gros chantier). Alors peut-être ferai-je comme d’habitude : je me cacherai derrière la fiction. Certains jours comme aujourd’hui, je passe la journée à me demander pourquoi je suis là, à cette place de romancière, je passe la journée la gorge serrée par un sentiment d’illégitimité. Mais à cet instant, en écrivant ces phrases juste au-dessus, je viens précisément de me rappeler pourquoi.




✨✨✨
Oh j'ai tellement envie de lire ce recueil, parce que j'ai l'impression que c'est ce que je vis avec la danse depuis quelques années (de mon côté c'est devenu un texte d'album qui n'a pas encore trouvé preneur !).
Merci pour tes douces notes.