L’été n’est pas une saison pour moi.
Structurellement, je déteste l’été. Je déteste la chaleur, le soleil qui crame les yeux, je déteste être moite de sueur et collante de crème solaire pendant trois mois (et pourtant attraper des coups de soleil quand même), devoir se protéger des moustiques, des tiques et des guêpes, mal dormir, je déteste me sentir ramollie par la chaleur autant que je hais l’injonction à se reposer et à « profiter ». Je n’aime pas les grands mouvements de foule, les fêtes imposées, le calendrier collectif, devoir m’amuser et me reposer quand d’autres l’ont décidé pour moi (j’ai même écrit il y a deux ans, alors que j’étais en « vacances », ce long poème pour raconter que je ne sais pas faire l’été).
En vérité, les deux seules choses que j’aime, l’été, c’est nager et ne pas mettre de réveil. Chaque jour je lis, fascinée et un peu envieuse, comme je regarderais un documentaire sur une tout autre espèce animale que la mienne, les petits posts insta de la série « apprivoiser l’été » de Marie Boulier, dans laquelle elle raconte ses étés d’aventures, de grand air, de siestes, de fêtes, de copaines, de légèreté. J’aime et j’admire le sentiment de liberté qui en ressort, je ne sais pas vraiment ressentir ça, mais d’une certaine manière, la lire me permet de le vivre par procuration.
Pourtant, l’été est souvent une période pendant laquelle j’écris. Le temps n’est pas fractionné par les interventions et, même si je suis branchée h24 sur radio-passion-du-moment-de-l’enfant (en ce moment, combo Minecraft-Sonic-Picsou), on parvient avec Martin à se ménager des interstices d’écriture en gérant le quotidien à tour de rôle. Surtout on s’organise toujours deux ou trois semaines juste pour cela, à la faveur d’un stage pour notre enfant (cette année : électronique à Montreuil) et des grands-parents qui l’emmènent en vacances ou le gardent chez eux.
Mais l’été c’est aussi le moment où la boîte mail est au ralenti, où on n’a rien d’autre que notre propre volonté et notre détermination pour faire avancer les choses. Alors j’oscille entre rage (« raaah personne ne répond à mes mails », « raaah je n’ai aucun retour sur ce texte » « raaah elle est en vacances pour trois semaines. TROIS SEMAINES ! »), joie (car aucun mail auquel il faut répondre = temps pour écrire), et angoisse existentielle (« personne ne m’écrit, je vais disparaître », « plus jamais je ne publierai de livre », « dans six mois je n’aurai plus d’argent si je ne fais rien »). Vous voyez l’idée, j’imagine.
J’ai toujours aimé écrire à contre-courant du monde. Quand je suis en résidence, j’adore travailler le soir, étirer les soirées jusqu’à 23h-minuit, c’est là que mon esprit me semble le plus vif, là aussi que je me sens le plus étanche au rythme du monde. Écrire l’été, c’est ça aussi : écrire quand les autres sont en vacances, quand les autres postent des photos de plage, de sieste et de fête sur les réseaux sociaux, et ce n’est pas la chose la plus simple au monde. J’ai beau être remplie de principes et de grandes idées qui ont pour but de me rassurer quant à mes propres choix, je suis en réalité une humaine très vacillante et un peu envieuse.
Nous sommes déjà le 18 juillet, et j’ai à peine eu le temps d’atterrir depuis le retour de la résidence piscine-camping à Rochefort-sur-Loire avec Zoé Besmond de Senneville, qui nous a pas mal bousculées avec de l’imprévu et des canicules. On en est revenues fatiguées, un peu étourdies, on n’a pas vraiment avancé sur notre projet commun — enfin, disons qu’on a fait le constat qu’il continue à nous échapper, qu’on ne sait pas par quel bout le saisir — mais d’autres choses se sont quand même imposées. J’ai terminé mon recueil de poèmes, j’ai beaucoup lu, et puis Rochefort, la piscine, la Loire, la rivière, la vie du village, m’ont amené d’autres réflexions, d’autres idées, d’autres pistes (un projet ado inattendu, entre autres).



Je fais le constat avec le temps que, désormais l’écriture trouve toujours son chemin. Ça n’a pas toujours été le cas, plus jeune il me fallait parfois creuser profond, mais désormais – c’est peut-être ça la musculature de l’écrivaine – la source est vigoureuse, les idées sont plus facilement disponible, elles affleurent jamais très loin de la surface.
Il n’empêche que chaque fois que je commence ou reprends un nouveau projet, le sentiment d’imposture se ravive comme une vieille tendinite. Mon projet de l’été, maintenant que je me suis débarrassée des autres chantiers en cours, c’est de poursuivre et terminer mon roman adulte. Déjà trois ans que Pourquoi pas la vie est sorti (et deux ans que j’ai commencé ce nouveau roman), ça me semble un temps infini, en tout cas suffisamment long pour que l’impression d’avoir oublié comment faire soit vivace. J’ai beaucoup de choses en moi à propos de ce livre, beaucoup d’idées, beaucoup de notes, pas mal d’envies – et déjà plein de coupes – mais, devant mes yeux, ça forme un amoncellement bordélique qui me semble brouillon et insaisissable. Alors je cherche des ruses pour ne pas affronter ce sentiment d’incompétence, je détourne mon attention, je fais relire mon début à Martin, je change encore et encore des choses dans les premiers chapitres pour ne pas avoir à affronter l’absence de matière, je lis des romans dans lesquels j’essaie de puiser le Grand Secret de l’Écriture d’une fiction (en ce moment : The happy couple, de Naoise Dolan), j’écris une newsletter (coucou), j’envisage de me faire un tatouage et même, nouveauté du moment : je me cherche obsessionnellement un carnet d’écriture de roman, un genre de carnet thématisé qui m’aiderait à organiser le bordel dans ma tête (vous utilisez ce genre de trucs, vous ?), qui me donnerait l’impression que je ne suis pas seule face au vertige de l’écriture. Je me sens une éternelle débutante, à toujours avoir besoin de doudous d’écriture. Je ne sais pas pourquoi cette impression de ne pas savoir faire est encore si présente après vingt livres publiés, et je ne sais toujours pas s’il faut cesser de vouloir s’en débarrasser et tenter de l’apprivoiser comme un chaton sauvage, s’il faut la jouer résiliente (je n’aime pas trop ce mot) et puiser dans cet inconfort le moyen de grandir, s’il faut couper tous les réseaux sociaux, s’enfermer dans une cabane sans wifi et se faire violence, ou au contraire se laisser aller à la paresse et à la peur et se dire que l’écriture viendra en temps voulu, se dire que (oui, je m’auto-cite) « désormais l’écriture trouve toujours son chemin ».
Je suis bien en peine de savoir comment et pourquoi j’y arrive malgré tout, à quel moment je sors de cet état pour écrire le livre, à quel moment je parviens à saisir le flow, mais voilà, j’ai dix jours pleins devant moi pour écrire, et il va bien falloir se laisser piéger. Alors j’invoque le saint-flow de tout mon amour en espérant que ma petite prière le fera venir bien vite (e prends aussi vos cierges et vos incantations païennes).
<3
(j'écris l'été aussi, mais parce que mon cerveau n'écrit bien qu'en vacances.)
Pour les carnets, je ne suis pas sûre mais Hema a souvent des carnets d'orga de vie, budget ou autre, peut-être qu'un de ces formats conviendrait à ton organisation ?
Merci de mettre tout cet intérieur à l'extérieur. Parfois on lit des choses qui résonnent tellement que c'est troublant et qu'on a envie de les imprimer pour en faire des affiches qu'on accroche autour de soi et qu'on relit tout le temps. C'est totalement le cas maintenant avec ces mots que tu viens de partager.